J’écris.

J’écris pour apprendre à dire. Du plus exquis à la pire des injures. Le laid, le sale et ce qui étouffe. Dire l’intime, tripes en dehors, pour expulser la crasse et les larmes. Pour ne garder en moi que le trop précieux, tout ce qui ne se dévoile pas. Ecrire la mort pour me garder en vie, saigner ma plume à la lueur de l’espoir, cingler les mots à chaque douleur. Si j’écris le noir, c’est pour ne plus oublier qu’autour de moi , éclate de ses rayonnements la beauté du monde. L’amour sous toutes ses formes, du lien le plus ténu par sa rareté à la plus absolue des tendresses. La foi immodérée , l’exaltation au jour le jour, le coeur jamais éteint.

J’épanche le fluide de mes afflictions, je répands la liqueur âcre du calice, je déverse le déluge des mélancolies au passé. Je laisse les ténèbres émigrer hors de mon sein et rivaliser de fourberies pour combattre l’inexpugnable clarté. J’écris comme je pleure, j’écris quand la peur me veut sienne, j’écris pour exorciser l’élégie. L’encre coule des pores de ma peau, elle suppure de chaque interstice épidermique, dégouline indolemment pour se muer en mots à maux.

J’élucubre, je divague, je pérore. Je chasse les embruns d’un revers de phrase, tétanise l’angoisse dans un jet manuscrit, immole par le feu de l’illusion créative l’austérité des affres existentielles. J’écris pour faire taire en moi le sordide et l’abjection, je compose avec la barbarie  et j’impose mutisme à la désespérance. Mes palabres sont un arsenal détonnant , une alternative à la résignation, le baume sur une plaie nécrosée . J’écris l’invisible et le secret, ce qui n’a pas de voix ni de corps, j’incarne en syllabes le taiseux des tourments.

Je parle à qui veut m’entendre, du plus profond de mes entrailles, je chuchote à qui veut partager un bout de mon chemin idiomatique, je déclame au tout venant l’insoutenable étrangeté de mes pensées monochromes . A l’envers du décor, se tient la passion turbulente, le sourire des jours les plus beaux, la croyance inébranlable en un présent enluminé de pourpre . L’Amour pour vaincre la torpeur de l’âme, parer la fadeur de rutilance, et tenir à distance le Démon de mon Paradis. J’écris par Toi , j’écris pour être moi. .

A l’heure où les étoiles meurent.

 

Par la fenêtre, je vois le ciel tomber sur Terre. Le soleil se voile derrière la colline, il étire dans un dernier effort, le rose et le jaune de son galbe , jusqu’au prochain lendemain. Le bleu nuit progressivement teinte la voûte astrale de fins sillons étoilés. Le silence, le temps qui se suspend, la brise qui se lève et froisse mes cheveux. La vie semble indécise à s’étendre et j’attends la mort. Je souhaite sa venue de toutes mes prières, je la nomme à voix basse, les yeux clos . Dans la rue, les voitures continuent de passer, malgré l’heure tardive. Il est 2h47, la musique s’est tue et le bruissement du vent dans les tentures feutre l’atmosphère figée et chargée de miasmes. Je crève sans un mot, depuis des années, et le monde s’en fout. Je m’en moque tout autant : les gens qui grouillent et traînent leur ineptie crasse de rues en couloirs, leur cerveau malade de contrées en cimetières, leur perversité de clubs impudiques en cellules familiales libidineuses et immorales, leur coeur absent de relations éphémères en mariages postiches me laissent de glace. Je les ignore bien plus que je ne les hais, la médiocrité délétère d’une telle engeance me pousse à préserver le peu de raison qu’il me reste et que je garde pour des jours meilleurs.

L’odeur est âcre, pestilentielle, les mouches bleues s’implantent sur ma peau comme un amant pathétique d’adoration s’accrocherait au bras de sa conquête. Le sol est collant, les immondices accumulées tiennent lieu d’ultime décor dans cet appartement autrefois soigné. J’enjambe les sacs vides, les détritus, les restes de nourriture avariés qui jonchent le parquet, pour me saisir dans un élan fait d’équilibre et de contorsion des cigarettes qui trônent sur le seul espace sain restant sur la table. J’en allume une, fébrile. Espérer, après quelques lentes bouffées, enfumer l’environnement fétide le temps d’un soupir nicotiné… Un répit olfactif de gagné !  Je retourne vers la fenêtre, m’accoude au rebord, la tête me tourne. En bas, sur le boulevard, deux êtres passent en chuchotant, puis disparaissent au détour d’une impasse. J’entends leur rire au loin, et moi , je chiale comme une môme dans mon taudis. Personne pour me voir grimper sur l’encadrement, et si je sautais, tout simplement ? A qui manquerais-je ? A ceux qui prennent mon coeur pour un ballon dans lequel on shoote négligemment ou à tous ceux qui ne voient de moi que le pire de ce que je ne suis pas ? Je ne suis qu’un fantôme, un souvenir éphémère, un songe immatériel et déplaisant que l’on s’empresse d’oublier pour ne plus en être empreint. Une ombre au tableau, une tache sur le mur immaculé, un chat noir errant , un mauvais présage.

Les effluves de la cigarette se dissipent, et la rage du désespoir croît et s’élève de mes tripes à ma tête. J’écoute le sang battre la mesure en mes tempes, je le sens tambouriner dans ma poitrine, soulever ma peau à chaque respiration saccadée . Mes pensées se fondent dans ce cadre putride, l’enfer prend place en ces lieux emmurés qui rappellent par leur silence oppressant l’anonymat de ma vie à l’agonie. Je songe à tous ces pans bâclés d’une existence aussi douceâtre qu’imperceptible, à ces êtres que j’ai chéri un à un, avec toute l’intensité et toute l’ardeur dont moi, pauvre hère, je suis capable, et qui m’ont laissée ,comme on jette l’inutile . A ces heures perdues, gâchées, à vouloir courir après le vent, à ne récolter que du sable. Au sang des amours brisés, à l’âpreté de la solitude contrainte, à la violence des sens malmenés. Ma réalité est une putain, syphilitique, vénale et corrompue au plus offrant : elle  frustre mes joies, me déleste du plaisir des jours, me prive du bonheur d’un temps à jamais révolu. J’envie amèrement le destin des étoiles, ces entrailles du céleste, mortes sous nos yeux mais qui rayonnent encore sur Terre à la nuit tombée,  bien après leur disparition . Je ne serai jamais qu’une poussière volatile, qui emportera sur son sillage le vide des secondes de son insignifiance.

A l’heure où les étoiles meurent,  je contemple dressée,  du haut de mon parapet la beauté de ce demain à naître qui pour moi ne viendra plus. J’inspire à plein poumons,  pour lui rendre un dernier hommage, une bouffée de cet air aux parfums de déclin, qui , quand il savait être grisant m’a trop souvent fait défaut. La nuit est claire, la ville encore endormie, et le chant des oiseaux de l’aurore accompagnera de sa mélodie fluette mon passage de vie à trépas. Je n’ai plus peur. J’ai tremblé mille fois dans ce tourment chronique, pleuré des torrents de source saline, saigné à m’en faire jaillir des veines des flots exsangues jamais taris. 4 heures sonnent au clocher . Lentement, je ferme les yeux. J’étends les bras comme pour saisir la brise au creux de mes paumes. L’élan comme un tremplin ,me projette en avant comme une particule virevoltante et délestée du poids du temps. Août s’envole, puis disparaît dans un fracas. L’automne ne grandira pas.